La Cour de cassation a rendu le 19 octobre 2023 une décision assujettissant aux cotisations retraite des chirurgiens-dentistes les dividendes versés par une SEL à une SPFPL, mais sans que ceux-ci ne soient ultimement distribués à la personne physique. Cette décision est fondée sur deux arguments :

  1. Les bénéfices de la SEL constituent le produit de l’activité professionnelle du travailleur indépendant.
  2. Ce dernier étant le seul associé de la SEL et détenant la SPFPL avec son conjoint, ces dividendes correspondent à la rémunération d’un travail plutôt qu’à des revenus d’un patrimoine.

Le « remake » de 2008. La Cour de cassation a rendu exactement la même décision en 2008. Souvenons nous. En 2004 a existé « l’exonération Sarkozy ». Elle permettait à un entrepreneur individuel de vendre sa clientèle, patientèle ou fonds de commerce à une société dont il pouvait détenir 100 % du capital. Dès lors que la valeur de la cession n’excédait pas 300 000 €, elle échappait à l’impôt de plus-value et aux droits d’enregistrement. De nombreux professionnels, notamment médicaux, se sont engouffrés dans la brèche. Mais ils ont poussé encore plus loin le souci d’optimisation. Une fois devenus gérants majoritaires de la SELARL ayant racheté leur patientèle, ils ont cessé de se payer, ne percevant plus que des dividendes. La caisse de retraite des médecin (CARMF) a réagi en assujettissant ces dividendes aux charges sociales. La Cour de cassation lui a donné raison en 2008, avec les mêmes arguments qu’en 2023. Puis le législateur a étendu cet assujettissement à toutes les cotisations sociales des TNS et non plus seulement celles de retraite, mais pour les seules SELARL (article L 131-6 du Code de la sécurité sociale, version du 1er janvier 2009). Enfin, au 1er janvier 2013, l’assujettissement des dividendes aux charges sociales a été étendu aux SARL.

Des risques de contagion préoccupants. Cette décision, qui confirme l’arrêt de la Cour d’appel de Aix en Provence rendu le 11 juin 2021, est pour l’instant doublement cantonnée : elle ne concerne que les cotisations retraite, pour les groupes libéraux de sociétés (SEL + SPFPL). L’historique 2008, 2009 puis 2013 rappelés précédemment n’incite cependant pas à l’optimisme. D’autant plus que s’ajoutent des difficultés d’application qui semblent quasiment insurmontables. Imaginons que les dividendes aient été assujettis à charges sociales dès la distribution entre la SEL et la SPFPL, puis que cette dernière, quelques années après, distribue des dividendes à son associé personne physique. Les charges sociales et/ou prélèvements sociaux seront-ils dus une seconde fois ?

Les montages extrêmes suscitent les réactions extrêmes ? La société la plus menacée par cette décision, paradoxalement, pourrait être la SASU. N’est-elle pas de plus en plus fréquemment utilisée comme les SELARL de rachat de 2008 ? C’est uniquement l’activité professionnelle de l’associé/président/consultant unique qui génère le bénéfice de la société. Mais il n’existe pas de rémunération du travail, le bénéfice étant capitalisé et/ou distribué. Les mêmes causes ne vont-elles pas produire le même effet ?

Et le pire, c’est qu’il vaut mieux se payer une rémunération conséquente avant de distribuer. Ce qui est un peu frustrant avec la généralisation de ces montages à faible rémunération qui font courir à tous le risque d’un retour de bâton vigoureux de l’URSSAF, c’est qu’ils ne sont même pas pertinents économiquement. Pour un couple sans autres revenus, il est préférable de servir une rémunération du travail d’environ 160 000 € par an, avant de déclencher les dividendes.

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